Vendredi 29 décembre
Les Katu sont connus au Laos pour leur sacrifice annuel du buffle rendant hommage à l’esprit du village, mais aussi pour une autre coutume unique, celle de sculpter des cercueils en bois pour chaque membre du foyer bien avant le décès attendu. On peut voir ces cercueils parfois sous les maisons ou sous les greniers à riz. Pour aller à la rencontre des cette minorité ethnique, nous avons préféré partir vers des villages plus isolés de Tad Lo avec Boutien, un guide de l’office de tourisme du village.
La plupart des agences sur Pakse propose des excursions d’une journée avec la visite de villages de minorités ethniques sur le plateau des Boloven. Ce sont toujours les mêmes villages qui sont fréquentés, ceux sur la route 20 entre Pakse et Tad Lo, les plus faciles d’accès. Les touristes y arrivent en groupe et mitraillent avec leur appareil photo ces habitants qui en ont assez… Ceci affecte malheureusement ces tribus et les traditions tendent à se perdre…
9h – « Hello ! My name is Boutien, nice to meet you ! »… « C’est notre guide maman ?! » me demande Lily. Jusqu’à notre surprise d’hier soir, Lily et Jonas n’étaient pas enchantés à l’idée d’une journée de randonnée sur le plateau à la rencontre de ces villages ; mais depuis qu’ils savent que nous partons avec Emma et Zoé, la randonnée passe mieux 😊
Rappelez-vous ce que Loïc, le gérant de notre guesthouse, avait annoncé… « Les enfants vous aurez une jolie surprise ce soir… Une famille avec des enfants qui parlent français arrive ! »… Vous avez donc compris qu’Emma et Zoé sont la surprise ! Et Paul et Sabine les parents. Ils habitent à Bruxelles et voyage pendant 4 mois en Asie, ils étaient aussi au Vietnam avant. Nous passons notre première soirée à échanger sur nos impressions, puis très vite nous parlons du quotidien en voyage avec les enfants. Emma et Zoé ont 9 et 5 ans, presque le même âge que Lily et Jonas. Nous partageons donc les mêmes difficultés dans la gestion des temps de transport, des temps d’école, des hébergements à 4 – surtout au Vietnam avec le peu d’offres en chambre familiale – et des repas.
« Cela ne vous dérange pas si on se joint à vous pour le trek de demain ? » nous demande Paul ce soir en sortant de l’office de tourisme. « Avec grand plaisir ! »
Nous voilà donc, il est 9h et nous partons pour une boucle de 10km parmi les merveilles qui nous entourent.
On décrit souvent le Laos comme un regroupement de minorités ethniques et de langues. Selon l’interlocuteur qui vous en parlera, le Laos se compose de 49 à 134 groupes ethniques, sacré écart me direz-vous ! Le chiffre le plus bas est celui qu’avance le gouvernement. Si les groupes, les cultures et les traditions sont nombreux et variés, les laotiens eux-mêmes se divisent en trois catégories ; les Lao Loum (= les Lao des plaines), les Lao Thoeng (= les Lao des hauts plateaux) et les Lao Soung (= les Lao des montagnes). C’est Noé, un guide rencontré plus tard dans le nord, qui nous expliquera qu’on retrouve ces trois grands groupes ethniques représentés sur le billet de 1 000 kip.
« C’est un village de quoi qu’on va voir ce matin ? » m’avait demandé Lily avant de partir. D’après ce que le guide au centre information nous a expliqué, ce sont des villages Katu que nous devons traverser, les Katu appartenant au groupe des Lao des hauts plateaux.
« On va marcher longtemps ? » demande Jonas. Cela ne fait seulement que quelques centaines de mètres que nous sommes partis… Jonas n’a qu’une envie, c’est se baigner aujourd’hui. L’appel de la rivière. Nous la longeons pendant un long moment et il ne rêve que de s’y jeter. « A midi Jonas, à midi, Boutien -notre guide- a dit que nous ferons le pic nique à la cascade de Tat Soung. Nous arriverons peut-être à le garde au sec jusque là 😊
Nous arrivons dans notre premier village, devant nous une place immense ; au centre, la maison communale qui symbolise l’unité et l’identité du village et assure la garde de son esprit. Plus ou moins décorées -la maison aux esprits que nous découvrirons dans le dernier village sera plus soignée- ces maisons communales sont très importantes dans la tradition Katu.
En raison de leur habitat éloigné et inaccessible, les Katu ont conservé un grand nombre de leurs traditions culturelles. Ils croient aux esprits de la nature et à l’existence d’un puissant esprit créateur -féminin- habitant le ciel, les Katu sont animistes. Je souris car cela me fait beaucoup penser au peuple Massaï du Kenya ; des croyances qui se ressemblent à des milliers de kilomètres.
Les pratiques et les rituels culturels des Katu sont peu connus malheureusement. Assis près de la maison aux esprits, Boutien nous confiera que les villageois célèbrent les esprits de leurs ancêtres pendant une cérémonie généralement au mois de Mars pendant la pleine lune, la date exacte dépend de leur calendrier lunaire. Oui, ils ont leur propre calendrier. Durant cette cérémonie, les villageois dansent en tournant autour de cette maison aux esprits sur le rythme des tambours et des percussions, tous habillés en costume traditionnel.
« Pourquoi il y a des cornes là-haut dans la maison ? » demande un des enfants à Boutien. A la fin de la cérémonie, le chamane sacrifie un buffle ; avec son sang, il peindra la maison aux esprits de quelques motifs. Les cornes du buffles sont conservées, elles protègent le village et les esprits. Nous avions déjà vu cette tradition en Indonésie sur l’île de Flores, les villageois attachaient même leurs cornes à l’entrée de la maison.
Situés à la limite des villages, les cimetières Katu qui regroupent les tombes sont les villages des morts où vivent les esprits des ancêtres. Ici, le village des vivants et le village des morts se complètent : les vivants ont besoin de la protection des ancêtres et les esprits des ancêtres dépendent de leurs descendants vivants pour prendre soin d’eux et recevoir des offrandes sous la forme des nourritures rituelles ou des cérémonies comme cette dernière. Pour les Katu, le culte des morts est profond
« C’est trop loin maman ce village… ! Ils vivent trop loin. » m’avait soufflé Jonas ce matin. Oui, les Katu vivent dans des villages difficiles d’accès. Ils sont éloignés des villes ; leur village compte entre dix et une soixantaine de maisons construites sur des pilotis.
Autour de nous, une très grande pauvreté, et encore plus dans le dernier village que nous visiterons dans l’après-midi. Des enfants par dizaines, beaucoup sont à moitié vêtus, parfois même nus.
Nous nous approchons d’un petit groupe autour d’un feu. Là, quelques hommes sont en train de fabriquer une épuisette. Les Katus sont connus pour vivre d’une agriculture de subsistance et de la pêche. Nous croiserons beaucoup d’enfants, petite sacoche en bambou à la taille et épuisette à la main le long de la rivière. Des enfants qui cherchent, qui attrapent, qui pêchent et qui chassent pour manger…
Les Katus passent pour être très pauvres, voire primitifs. Il faut savoir que les Katus appartiennent au groupe des Lao Thoeng, les Laos des hauts plateaux. On les désigne parfois sous le terme péjoratif de khàa – esclave ou serviteur – parce qu’ils ont été contraints de travailler pour des peuples migrants il y a des siècles, puis par la monarchie lao. Encore aujourd’hui, ils sont souvent employés comme ouvriers par les Lao des montagnes. Ils ont un niveau de vie inférieur à celui des autres groupes et leurs échanges avec les autres laotiens reposent généralement sur le troc.
Je n’ose même pas parler de la scolarisation des enfants à Boutien… C’est dans le dernier village que nous apercevrons une école, une école en travaux. Il y a bien une école ici nous précise Boutien mais école avec quoi ? comment ? avec qui ?… A l’entrée du village, un groupe d’enfants s’avancent et nous observent aussi curieux que nous. Il y en a tellement… Que font-ils ? Que deviendront-ils ?
« Regardez ce village » nous dit Boutien, il s’est séparé en deux. Depuis plusieurs mois, il y a eu beaucoup de décès et une partie des villageois pensent qu’il y a un mauvais esprit dans cet endroit et qu’il faut l’abandonner pour aller vivre plus loin. Certains ne veulent pas abandonner leur maison et leur terre et restent. Et les décès continuent d’un côté comme de l’autre… Parce qu’ici ne cherchez pas une pharmacie ou un hôpital, l’accès aux soins de première nécessité, on oublie ou… on appelle le chamane !
Sur notre chemin du retour, des scènes de vie au bord de la rivière, l’heure du bain, l’heure du potager, l’heure de la lessive, l’heure de quelques rires au bord de l’eau. Parce que des sourires, nous n’en avons pas manquer aujourd’hui ; mais des visages durs aussi nous en avons croisé, des visages qui vous disent que la vie ici n’est pas aussi douce qu’on l’imagine…
Ce soir quand nous rentrons dans notre petit bungalow, je n’ai pas envie d’entendre que l’eau est trop froide, que lit est trop petit ou que le poulet n’est pas très bon… Ce soir, je repense à notre journée avec un sentiment partagé, nous avons traversé des paysages magnifiques, découverts une culture et des traditions surprenantes, partagé cette aventure avec une famille « bruxelloise » extraordinaire, rencontré un peuple très touchant ; mais ces enfants, ces regards d’enfants, je ne peux m’empêcher de me demander « quel avenir ont-ils ? » …