« Oh mince maman, mon leggin est noir ! Et regarde Jonas, il a du rouge sur son tee-shirt !! On va faire comment ?! » crie Lily ce matin dans le mini van qui nous emmène en direction du Mont Popa. « Ils ne vont pas être contents les esprits !! » dit craintivement Jonas.
Hier soir au repas j’ai raconté à Lily et à Jonas la symbolique des Nat, ces esprits très vénérés au Myanmar depuis l’Antiquité. Autrefois, avant que le roi Anawrahta ne fasse du bouddhisme la religion d’Etat, les birmans leurs vouaient un culte très important ; des milliers d’animaux étaient sacrifiés aux esprits Nat durant les cérémonies. Encore aujourd’hui beaucoup de birmans continuent à vénérer ces esprits en parallèle avec le bouddhisme.
A 50 km de Bagan se trouve le Mont Popa, considéré comme le refuge des 37 Grands Nat, c’est le plus important lieu de pèlerinage ; et d’après une croyance birmane « un bon pèlerin ne doit ni porter du noir, ni du rouge sur le Mont Popa, il doit aussi éviter d’apporter de la viande pour ne pas offenser les Nat » ! D’où l’inquiétude de Lily et de Jonas ce matin 😉
Vendredi 16 février
9h – Nous voilà en route direction ce pic de lave volcanique de 740 mètres ; à son sommet se trouve un monastère bouddhiste, il faut savoir que l’ascension se fait pied nu par 777 marches.
La route de Bagan qui mène au Mont Popa traverse de magnifiques paysages de campagnes qui se mêle très vite à une terrible vision de misère. Le long de la route, des femmes, des hommes et des enfants tendent des mains en direction de chaque véhicule qui passe. Le spectacle est terrible à voir…
Notre guide nous explique qu’il s’agit de fermiers, « it’s a very poor land ! ». La saison est très difficile pour eux, ils manquent cruellement d’eau, ils ne peuvent donc pas travailler. Il y a 3 ans, cela a été pire… « Comment cela pourrait être pire que ce que nous voyons déjà… ? » pensais-je.
Il y a 3 ans nous raconte-t-il, la saison des pluies a été très mauvaise, la misère était telle que les habitants de Bagan récoltaient des bouteilles en plastique, les remplissaient à l’Irrawady et venaient les distribuer jusqu’ici, c’était vraiment très difficile finit-il par nous dire puis silence.
Parfois je baisse la tête, je préfère détourner le regard tellement l’image de ces mains tendues est « de trop ».
Il est presque 11h quand nous arrivons au pied du Mont, « il est plus impressionnant de loin que de près » remarquais-je. « C’est là-haut qu’on doit monter ?! » demande Lily. Lily n’a pas dû entendre qu’il y avait 777 marches me dis-je… « Maman, c’est là-haut qu’on doit aller ?! » questionne à son tour Jonas. « Ben oui, elle l’a dit hier Maman qu’on devrait monter jusqu’en haut !! 777 marches ! Tu n’as pas entendu ?! » J’en déduis que Lily avait très bien entendu, elle a sûrement voulu vérifier que je n’avais pas changé d’avis 😉 😊
Les escaliers qui permettent de rejoindre le temple bouddhique de Taung Kalat au sommet est couvert. Il est rempli de petites échoppes dans lesquels on peut trouver à manger, à boire, des offrandes ou des tee-shirts du Mont Popa tel un immense bric à brac.
Durant notre ascension, nous croiserons une quantité d’hommes demandant de l’argent pour le « nettoyage » comme ils disent des marches. Mais pourquoi le nettoyage ? C’est simple, à peine les premières marches franchies, nous apercevons les habitants des lieux… Les singes !! On en trouve de partout, dans tout le temple, certains sont même plutôt agressifs, Jonas en fera les frais avec son paquet d’Oréo… Vous comprenez mieux pourquoi le nettoyage maintenant 😉
L’ascension finalement ne sera pas très longue. « Tu es sûre maman qu’il y avait 777 marches ?! » me questionne Lily arrivé au sommet. « Ça veut peut-être dire aussi qu’on a l’habitude de monter des marches maintenant ?! » conclut Jonas.
Les stupas du sommet ne sont pas exceptionnels par rapport à ceux que l’on a déjà vu sur Bagan. C’est plus le magnifique panorama sur la plaine de Myingyan et sur la campagne environnante qui mérite l’ascension. A perte de vue des zones de culture et de nature sauvage. La vue est impressionnante, autour tout est plat et ce sommet semble posé là, tel une météorite.
Nous faisons rapidement le tour des quelques monastères, stupas et sanctuaires du sommet qui n’attirent que peu notre attention. Puis le guide nous fait entrer dans un petit sanctuaire différent de ceux que nous avions déjà vu. Autour d’un pilier central se trouvent des petites niches avec l’inscription des jours de la semaine, à l’intérieur de chaque niche un bouddha. Ici les birmans viennent prier le Bouddha du jour de leur naissance.
Notre guide nous apprend alors que le choix du prénom à la naissance n’est pas aussi libre que chez nous, il doit respecter une règle. A chaque jour de la semaine appartient une lettre, en fonction du jour de la naissance, les parents doivent donner un prénom à leur enfant en commençant par cette lettre. Nous comprenons maintenant mieux pourquoi les prénoms se ressemblent !
Au mardi correspondent les lettres S et C, au mercredi c’est le L, les personnes nées un jeudi devront avoir un prénom commençant par un P et le vendredi un T. Désolée je n’ai pas retenu les autres jours ! Toujours est-il qu’après vérification avec un calendrier sur le téléphone, aucune de nous n’a pas la bonne lettre 😊
Nous terminons notre visite par « The Mother Spirit of Popa Nat Shrine », le sanctuaire de la mère de Popa et des Nat au pied de l’escalier. Le culte des Nat vient d’Inde, c’est une croyance animiste selon laquelle tout être vivant ou non est animé par un esprit. Ce culte a précédé l’introduction du bouddhisme en Birmanie, il a été fondu dans celui-ci donnant naissance à une religion syncrétique où Bouddha est le plus grand des Nat, les autres ayant veillé sur sa naissance.
C’est le roi Anawrahta qui créa la première liste officielle des 37 Nat après s’être rendu compte qu’il ne pourrait mettre fin à leur culte. Les Nat se répartissent donc entre 37 Grands Nat et tous les autres (divinités des eaux, des arbres, du foyer, etc…)
La plupart des 37 Grands Nat sont des êtres humains qui ont connu une mort violente. Un peu comme les Saints du christianisme, les Nat peuvent obtenir cet état pour diverses raisons.
Des deux côtés de la porte d’un vestibule intérieur, nous apercevons des figures représentant certains des 37 nat officiels. Au centre, nous distinguons les trois figures principales, l’ogresse mangeuse de fleurs également appelée Mae Wunna ou « Reine Mère de Popa » et ses fils à sa gauche et à sa droite.
Mae Wunna « La Mère de Popa » vouait un grand amour à l’un des serviteurs du roi Anawrahta. Cet indien avait des pouvoirs surhumains dit-on et il avait pour tâche de cueillir des fleurs mais il faillit à son devoir et fut exécuté sous ordre du roi. Leurs deux fils marchèrent sur les traces de leur père ; ils devinrent serviteurs du roi, manquèrent à leur devoir et furent eux aussi exécutés.
Dans sa grande bonté – un brin ironique – le roi Anawrahta ordonna toutefois qu’on érige un sanctuaire sur le lieu de leur exécution. De nombreux fidèles viennent rendre hommage à ces trois personnages, surtout lors de la fête des esprits de Tagu (mars-avril) pour célébrer le départ et le retour. On dit qu’une fois par an, les esprits des deux fils de la Mère de Popa entreprennent un voyage qui passe par le mont Popa, le nord de Mandalay et la Chine. Sacré voyage !
Un peu plus loin, mon attention est retenue par la déesse pyu dodue, Shin Nemi également appelée « Petite Dame », il s’agit de la Nat protectrice des enfants. Elle reçoit des offrandes de jouets en période d’examens scolaires.
Parmi les souverains qui peuplent la mythologie du Myanmar, le plus célèbre est le seigneur Kyawswa surnommé « le Nat ivre », on dit de lui qu’il passa sa courte existence à organiser des combats de coqs et à boire. Il est aujourd’hui le patron des joueurs et des buveurs, on le distingue sur la droite de la « Mère de Popa » perché sur son cheval portant des bouteilles de rhum et de whisky. « Sacré Saint !! » pensais-je…
Le guide m’explique alors que les Birmans viennent ici prier l’esprit du Lac pour une meilleure pêche, l’esprit de la Pluie pour une meilleure récolte, l’esprit de l’Océan pour protéger ses pêcheurs…
Le culte des Nat est moins répandu en zone urbaine qu’à la campagne, et il est surtout pratiqué par l’ethnie Birmane. De nombreuses maison abritent un autel des Nat ; les villages sont également souvent protégés par un Nat.
Certains considèrent les Nat comme une faille dans le bouddhisme traditionnel car ils ont des caractéristiques humaines, des désirs et des besoins.
Chaque jour les offrandes sont renouvelées afin que les Nat ne puissent pas manifester leur mécontentement et attire la mauvaise fortune sur les hommes. « 3 bananes and 1 coconut for the Nat and 6 bananas and 1 coconut for Buddha » nous précise notre guide. La différence ce sont les bananes alors 😉
Sur le chemin du retour, je repense à mon hésitation avant de réserver cette excursion. Peu de touristes font le déplacement depuis Bagan, l’ensemble est certes comme je l’avais lu « un peu kitsch », mais la vue de ce mont au loin reste impressionnante et ce culte des esprits est tellement prégnant – nous nous en apercevrons à plusieurs reprises pendant la suite de notre voyage ici – que je ne regrette pas cette journée. Ni notre retour d’ailleurs qui sera un « dur moment » de partage pour toute la famille, mais cela vous le saurez plus tard…
Comment aller au Mont Popa ?
Nous avions le choix entre un taxi collectif (sans guide) et une excursion organisée. Après quelques recherches, j’ai noté que beaucoup de touristes étaient passé à côté de « la dimension spirituelle » du lieu faute d’avoir fait appel à un guide. « Aller au Mont Popa en se passant des services d’un guide équivaut à regarder un film en VO sans les sous-titres » ajoute ‘Lonely’. Nous avons donc opté pour le second choix.
A côté de notre hôtel sur Nyuang U, nous avons trouvé une petite agence avec qui nous négocié l’excursion avec un chauffeur et un guide.
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Modern Travels and Tour
Excursion au Mont Popa avec chauffeur 33 700 K et guide 40 000 K pour un total de 73 700 K soit environ 46€.
Pour ceux qui souhaiterait contacter en direct le chauffeur et le guide, voici leurs coordonnées personnelles :
Le chauffeur est peu bavard, parle très peu anglais (un peu c’est déjà bien !), il est très gentil et d’une grande générosité. Le guide n’est pas très loquace non plus mais répond très agréablement aux questions et il est attentif.