32 km à pied… « Nous sommes trop fatigués » dit Lily, « rincé » murmure papa, « enfin arrivés ! » crie Jonas ; « tout cassé » conclue maman en boitant… 😉
Quand nous avions booké ce trek de 2 jours, nous n’avions pas réfléchi à cette épouvantable chaleur et aux 40 km à vélo que nous ferions les deux jours précédents autour du lac Inle ! Ce soir, ce sont les locaux qui rient de nous voir passer « ma cheville en moins et moi » sur le dos de Ludo quand nous rentrons ou rampons – cela dépend comme on voit la chose 😊 – jusqu’à notre chambre ; mais ce soir c’est aussi avec des merveilleux souvenirs plein la tête que nous nous couchons.
Vendredi 23 février
8h00 – « Good morning, my name is Lin Nwe, are you ready ?! » Nous y répondons avec un timide « yes », nos jambes sont encore bien endolories de nos 2 jours à vélo.
Beaucoup de touristes choisissent de faire le trek de Kalaw jusqu’ici, c’est le plus prisé nous explique le guide ; peu décide de découvrir « The Red Mountain ». Nous avions hésité nous aussi pour être honnête. La plupart des guides et des blogs décrivent le paysage entre Kalaw et Inle avec tellement de magie que le trek est encore plus tentant. 60 km séparent Kalaw de NyaungShwe au bord du lac Inle et même à travers les montagnes nous craignons que le trek soit trop ardu pour Lily et Jonas.
Nous avions donc fait le choix du train local pour venir jusqu’ici, j’avais lu que ce trajet en train offrait une belle alternative au bus tout en permettant de profiter du paysage à défaut de la marche 😉Et c’est le cas.
Mais revenons à ce matin, « maman, ça fait déjà 10 minutes qu’on marche ! » me dit Jonas montre en main. Houlala… la journée risque d’être longue… 5 minutes passent… « ça va toi ? Tes jambes ?! » me demande Ludo. Je crois qu’elles sont dans le même état que lui ! Oui, la journée risque d’être très longue… Nous n’avons pas encore osé demander à Lin Nwe la distance prévue aujourd’hui, ni le temps de marche, je crois que nous ne sommes pas prêts à l’entendre tout de suite 😉
Quelques minutes plus tard nous quittons la ville de NyaungShwe et très rapidement « ça monte !!! » Personne ne parle. Puis le paysage change, des étendues très sèches apparaissent, quelques collines et cette poussière qui ne nous quittera pas pendant ces deux jours.
Après une première petite ascension – je dis cela maintenant car je connais la suite mais je puis vous assurer que sur le moment je ne l’ai pas vécu comme « petite » – nous arrivons dans un premier village.
Lin Nwe se dirige vers une grotte, celle de Ta Eim nous dit-il, elle renferme environ 500 Bouddhas. « Encore des Bouddhas… Mais ils ne s’arrêtent jamais ici même dans les grottes des montagnes ! » dit Lily
Il est « déjà » temps de repartir… Jonas regarde sa montre, il a même enclenché son chrono depuis que nous avons quitté la ville… « Ah non Jonas ! Je ne veux pas savoir depuis combien de temps nous marchons, non, non, non !! » Autant ne pas me démotiver tout de suite 😉
Et ça grimpe…. Lin Nwe se retourne et sourit « Today we go up, tomorrow we go down ! » s’exclame-t-il. Voilà, le ton est donné ! « Ça veut dire quoi « go up » ??! » demandent les enfants. « Monter » ça veut dire « monter » … !!
La chaleur nous terrasse sur place, il est 10h et nous sommes déjà « liquide ». Lin Nwe nous propose une petite pause à l’ombre, pause qui se transforme en découverte gustative. A côté de nous, un arbre à tamarin et un jacquier. Curieuse, je demande à Lin Nwe à quoi ressemble le fruit de l’arbre à tamarin, je connais la pâte avec laquelle on peut cuisiner mais je n’ai jamais vu le fruit. En quelques secondes Lin Nwe est déjà en haut de l’arbre et nous décroche quelques-uns de ces fruits. J’ouvre l’écosse et je découvre alors ce fruit, plutôt étrange. « You can tast ! » me dit-il, j’ose et je goûte. C’est très acide, j’ai l’impression de croquer dans un citron.
A côté les fruits du jacquier sont bien plus gros. Le jacquier est un arbre cultivé dans la plupart des régions tropicales, majoritairement en Asie du Sud-Est pour son fruit comestible appelé le « fruit du pauvre ». Le fruit a une odeur forte et sucrée, on peut manger sa chair crue ou le cuire en plat salé pour préparer un plat traditionnel.
Quand Lin Nwe nous propose de repartir, j’avoue qu’il nous faut une belle motivation ; la chaleur est encore montée et ce n’est rien face à ce qui nous attend… « Today, we go up ! », il ne nous avait pas mentis… Nous ne croisons que peu de monde ici, quelques locaux travaillant leurs terres, une femme ramasse des racines curcuma, au loin un homme coupe des arbres, un autre retourne sa terre. Il n’y a que très peu de touristes qui viennent jusqu’ici pour un trek nous avait expliqué Lin Nwe, il dit vrai.
Au loin nous apercevons quelques flammes, nous avions déjà remarqué ces parcelles de terre noircies sur les versants des montagnes autour du lac, mais là, le feu est plus proche… Nous interrogeons Lin Nwe sur l’origine de ces feux et leur intérêt, il nous explique que les propriétaires des terres allument délibérément des feux non pas pour mieux cultiver leur terre comme je le pensais, mais pour renouveler l’herbe fraîche qui est brûlé par le soleil afin de permettre au bétail de paître.
« Mais maman regarde ! Ils détruisent la forêt ! Les arbres !! » s’inquiète Jonas. « Et puis c’est dangereux ! » ajoute Lily. Je suis bien d’accord avec Lily, d’autant que le vent souffle et les flammes se rapprochent parfois trop près de nous… Lin Nwe ne semble pas inquiet. Nous poursuivons.
« Break, break, break ! » tente Jonas une fois rassuré suffisamment loin des flammes. « Ok break ! » Lin Nwe en profite pour nous montrer notre destination de ce soir… « You see this mountain ? We go over there ! » … Je vois bien la montagne et j’ai bien compris que ce n’était pas de la première dont il nous parlait… Lily regarde dans la direction, j’attends sa remarque…
« Il a dit quoi en fait ? Il nous montre quoi papa ?! » …
« La montagne là-bas » …
« Oui et bien quoi la montagne au fond là-bas, qu’est-ce qu’elle a ?! » …
Nous hésitons à lui dire tout de suite ! … « C’est derrière celle-ci que nous dormons ce soir !! » Oui nous avons osé !
J’aimerai vous dire qu’il y ait eu un bref silence mais ce n’est pas le cas, nous avons eu droit à une jolie séance de « mais vous êtes tous fous ou quoi !!! »
Puis, nous reprenons notre ascension et cette fois en silence…
« C’est quand qu’on mange ? Parce qu’on va quand même manger non ? On ne va pas faire que marcher ! » nous questionne notre douce Lily. Il est 13h et nous ne sommes plus très loin du prochain village de Nan Nwe.
Sur notre chemin, nous découvrons d’immenses champs de plants de tabac. Note guide nous explique que la région est très pauvre ici, ce peuple des montagnes vit essentiellement de cette récolte ainsi que de leurs productions de légumes, de curcuma et d’ail qu’ils descendre vendre au marché de la ville.
Nous sommes gentiment accueillis dans une des maisons du village pour le repas, Lin Nwe s’improvise cuisinier, nous avons même droit à notre premier festin avec lui – à ce moment là nous n’avions pas encore idée de ce qui nous attend le soir … – « c’est la meilleure salade d’avocat que j’ai mangé ! » me confie Ludo. Et comme bon repas rime avec petite sieste, nous ne nous faisons pas prier et acceptons bien volontiers cette « pause à rallonge » !
« Just one and half hour ! » nous rassure Lin Nwe avant de repartir. Il est 15h et nous n’arriverons pas tard à son village pour y passer la nuit. « Today, we go up » rappelez-vous ! Et bien, cela continue… Il nous en reste encore une belle de montagne à traverser, elle se dresse bien là devant nous quand nous quittons le village de Nan Nwe. Au fur et à mesure que nous montons, le panorama qui se dresse devant nous au loin est impressionnant.
« Maman, on est bientôt arrivé en haut ! » me crie Jonas devant. Je lève la tête et je les vois passer de l’autre côté 😊
Le village de Yin Pya se trouve juste à côté d’un monastère, Lin Nwe nous propose gentiment d’aller le visiter pendant qu’il nous prépare le repas. Il nous reste encore un peu d’énergie alors nous nous aventurons sur les quelques mètres qui nous sépare des lieux.
L’endroit nous paraît être plus un havre de paix pour une retraite qu’un monastère vivant comme nous avions pu en voir auparavant. Les bâtiments semblent vides, un moine s’approche de nous ; Lily et Jonas sont déjà au loin en train d’explorer les lieux. « You can speak in english with monk ! » nous avait confié Lin Nwe avant de partir mais au premier coup d’œil nous voyons la difficulté… Avec Ludo nous échangeons des regards « à qui comprendra le mieux ce que ce moine tente de nous raconter… » 😉
Le temps passe, les lumières changent et la chaleur tombe ; nous apprécions cette « petite » fraîcheur et nous en profitons pour redescendre au village, rejoindre notre toit pour la nuit. Dans la maison, trois jeunes enfants nous attendent, curieux, une plus timide que les deux autres. Deux d’entre eux sont le neveu et nièce de Lin Nwe, quelques regards s’échangent et très vite la maisonnée devient un « mini passepartout » comme dit Ludo. Nous passons de 4 enfants à 6 puis 10 !! Dans nos sacs quelques ballons gonflables ont transformé cette fin de journée en moment féérique pour tous ces enfants y compris les nôtres !
L’agitation bat son plein, nous tentons de ramener un peu de calme ; au regard du frère de Lin Nwe je ne suis pas certaine qu’il permette autant d’excitation habituellement dans sa maison, la maman quant à elle sourit, je la surprends même à rire en voyant cette « fête ». Je décide de sortir quelques crayons et des feuilles, mon stratagème de retour au calme marche à merveille 😉 Ni une ni deux, les enfants s’arrachent les crayons et se transforment en artiste le temps d’un soir…
Pendant ce temps dehors la nuit tombe, une délicieuse odeur s’échappe de la pièce d’à côté, Lin Nwe est aux fourneaux depuis notre arrivée. « Crois-tu qu’il y ait un endroit pour faire une toilette ? » demandais-je à Ludo. Il semble aussi sceptique que moi… Ludo tente quand même « Where is the bathroom ? » … Je vois Ludo sortir de la maison et revenir quelques minutes après avec un sourire qui en dit long « Je crois que la salle de bain, c’est le même endroit que les toilettes ! » … Ok, ce soir la douche on oublie et pourtant elle aurait été bienvenue ! Entre la chaleur et cette poussière toute la journée nous nous sentons tout poisseux.
Il est 19h, la joyeuse tribu d’artistes a quitté les lieux ; quand je vois la belle-sœur de Lin Nwe déplier les nattes au sol j’en déduis que nous dormirons ici ce soir. Elle ne dispose pas moins de sept couvertures sur nos matelas au sol, la nuit risque d’être fraîche !
Puis, Lin Nwe commence son ballet entre la cuisine et notre table, chaque plat qu’il nous apporte semble meilleur que le précédent ; soupe de citrouille, pois cassés, légumes variés, du poulet cuisiné, du chou, du riz ; face à nous un vrai festin ! J’en ai même honte d’avoir une table aussi pleine quand je connais la pauvreté de ce village. Lin Nwe a passé tellement de temps et semble si content de nous partager sa cuisine que nous décidons d’y faire honneur.
Il est 20h, nous nous cachons sous notre pile de couverture, il ne faudra pas longtemps à tout le monde ce soir pour rejoindre les bras de morphée 😉
Samedi 24 février
5h – J’ouvre un œil, dehors la vie s’anime ; la nuit a été fraiche mais sous notre montagne de couvertures nous n’avons rien senti des températures qui ont bien chuté pendant la nuit. Très vite l’animation gagne la pièce d’à côté, quelqu’un allume le feu et on nous dépose un thermo de thé bien chaud au pied du lit. Nous sommes tellement choyés depuis hier après-midi. Je reconnais bien là cette générosité birmane qui nous porte depuis notre arrivée au Myanmar, ils ont si peu et donne temps… Leur vie nous paraît si difficile et ils ne sont que sourire…
A côté de moi, je sens bouger, une tête sort des couvertures « On dort trop bien sur des nattes parterre ! Vous voyez on n’a pas besoin de lit finalement ! » nous dit Lily au réveil.
Note pour le retour : acheter des nattes pour la chambre de Lily et lui faire relire au besoin cet article 😊
7h – Lily et Jonas sont déjà dehors, le jeu a déjà repris de plus belle avec les enfants du village. Ce sont des scènes et des moments comme celui-ci qui nous font dire que nos priorités et nos rythmes effrénés ne sont pas les meilleurs. Nous sommes là et rien d’autres ne compte à cet instant.
« Are you ready ? » nous demande Lin Nwe.
« Non pas déjà maman ! On est trop bien ici ! » Je les comprends mais il est temps de partir ; et puis aujourd’hui rappelez-vous les enfants « we go down ! » Quelques câlins, quelques bisous pour certains, des petites mains nous font encore signe alors que nous quittons le village. Yin Pya, un de ces villages qui mériterait tellement plus d’attention.
Nous ne sommes partis que depuis quelques minutes que mon pied s’enfonce dans un trou, « aïe ! » La descente ne va pas être aussi facile que ce que je pensais ce matin… Ludo décide de m’alléger de mon sac et nous décidons de poursuivre.
Ce matin sur notre chemin, c’est plusieurs villages que nous traversons ; tous appartiennent à la même tribu des Taung Yo. Notre guide nous rappelle que chaque ethnie possède son identité culturelle : une tenue traditionnelle, des coutumes, des mœurs et un dialecte particulier. Cette ethnie se situe dans l’Etat Shan, la région autour du lac Inle.
Dans un de ces villages, des hommes s’affairent à construire un bassin de rétention d’eau avant la saison des pluies, l’eau manque cruellement ici. Plus loin à la sortie d’un autre village, Lin Nwe nous parle des croyances des Taung Yo devant un monticule de cailloux. Nous apprenons que les Nat sont vénérés ici en plus de leur croyance bouddhiste.
Plus tard, pendant « un break », Lin Nwe nous expliquera également que la scolarisation des enfants s’arrête au primaire dans ces villages vers 13 ans, ensuite ils rejoignent les parents dans les champs puis se marient vers 16 ans. « Mais tu n’es pas marié toi ! » s’exclame Lily. Lin Nwe précise à Lily que cela concerne la majorité des enfants mais pas tous. Heureusement…
Lui a préféré quitter son village et descendre tenter sa chance comme il dit à la ville, il a 21 ans et semble avoir déjà beaucoup vécu. J’ai encore le temps pour me marier ajoute-t-il en direction de Lily. Quand j’aurai un métier qui peut faire vivre ma famille, je me marierai finit-il par nous dire avant de repartir.
La fin de matinée approche et nous apercevons le lac Inle à l’horizon, une bonne nouvelle ! La chaleur d’hier nous a rattrapé et j’attends avec impatience la pause déjeuner pour laisser poser mon pied.
« How many times ?! » questionne une nouvelle fois Lily. Lily a démarré son chrono sur sa montre et Lin Nwe joue un « contre la montre » avec elle maintenant 😉 Au fur et à mesure que nous progressons, il s’amuse avec elle en lui demandant le temps restant. Il faut avouer qu’il a bien joué, à quelques minutes près nous sommes assis à une table à l’ombre pour une pause bien méritée.
« Just one hour more » nous rassure une nouvelle fois Lin Nwe et il avait une nouvelle fois raison ! Quand nous le quittons devant notre hôtel, « nous sommes trop fatigués » dit Lily, « rincé » murmure papa, « enfin arrivés ! » crie Jonas ; « tout cassé » dit maman.
Ce soir quand nous nous couchons : « c’était trop cool papa de jouer avec ces enfants dans ce village, c’était trop bien maman de dormir parterre tous ensemble, c’était trop beau en haut de la montagne, c’était aussi trop dure mais c’était trop bien !! »
Alors oui, peut-être que ce trek n’offre pas les mêmes beautés que celui entre Kalaw et le lac Inle ; en fait, ce trek offre tout autre chose… Un merveilleux partage, un que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
Petite note importante : je préfère rassurer tout le monde, à l’heure où j’écris cet article, j’ai récupéré l’usage de mon pied donc pas de panique ! Ludo ne porte pas sa femme et nos 54 kg de sac tout seul sur son dos ! 😉